L’importance de la moralité dans la pratique du Qi Gong

Ma double casquette de praticien en médecine chinoise et d’enseignant de Qi Gong m’a conduit à me spécialiser dans un domaine encore trop négligé : les problèmes que peuvent engendrer les pratiques énergétiques (Qi Gong, Yoga, méditation…).
Une des causes de cette négligence — qui, soit dit en passant, aggrave souvent les symptômes — vient de l’image systématiquement véhiculée : celle d’une pratique accessible à tous, quelles que soient la condition physique, émotionnelle ou psychologique de la personne. La réalité est plus nuancée. Ce n’est pas toujours aussi idyllique. Comme pour tout, présenter uniquement la partie Yang, sans jamais évoquer la partie Yin, revient à ne montrer que la moitié du tableau.
Alors, quand je vois passer des publications qui ne font que ça, je me dis qu’il y a anguille sous roche. Bien sûr, je suis conscient que ces sujets sont méconnus. Lorsque j’enseignais, j’y consacrais au minimum quatre jours entiers pour former les professeurs de Qi Gong qui les survolaient dans leur formation, ou les praticiens en médecine chinoise qui n’en entendaient quasiment jamais parler dans leur cursus. On peut être indulgent, mais il y a tout de même des cas où certains en font trop, et où l’on sent clairement l’entourloupe.
"Cultiver la vertu avant de pratiquer le Qi Gong" (练功先修德) n’est pas seulement un précepte éthique : c’est un principe essentiel pour l’efficacité et la profondeur de la pratique.
S’abstenir de mauvaises actions, de mensonges ou d’actes égoïstes permet de réduire les interférences intérieures.
Ces perturbations, sont issues de conflits moraux ou d’émotions négatives. Elles empêchent d’atteindre l’état de calme nécessaire à une pratique profonde.
À l’inverse, accumuler de bonnes actions, c’est accumuler de la vertu et purifier son espace intérieur. La qualité de l’esprit et des émotions est directement liée à la circulation du Qi.
Une agitation mentale nourrie par l’égoïsme ou par des comportements préjudiciables déséquilibre le Qi et le Sang et limite l’efficacité de la pratique. Cultiver la vertu permet au contraire de franchir des paliers dans la profondeur du Qi Gong.
Concrètement, la pratique ne peut pas être motivée par la recherche de gloire ou d’enrichissement personnel.
Si l’objectif est uniquement matériel, les résultats resteront superficiels.

Les "Sept émotions" (joie excessive, colère, inquiétude, rumination, tristesse, peur, choc) perturbent le Qi et affaiblissent le corps, alors que le Qi Gong vise au calme et à la paix intérieure. Les désirs de richesse, de reconnaissance ou de plaisirs sensoriels dispersent l’esprit (Shen) et épuisent l’essence (Jing). Se contenter de peu et garder l’esprit serein est une clé de longévité.
Les conflits et querelles sont autant de pertes d’énergie : le pratiquant apprend à les résoudre avec bienveillance, sans s’y attacher. La conduite éthique envers autrui se manifeste dans la justesse, la serviabilité et la bienveillance au quotidien. Elle demande d’éviter l’arrogance, de respecter les autres — surtout les plus faibles et les aînés — et de rester honnête et intègre. Le véritable maître de Qi Gong se reconnaît à la cohérence entre ses paroles et ses actes.
Cet idéal n’est pas une simple théorie. On rencontre parfois des enseignants de Qi Gong qui affichent en permanence une image de vertu, diffusant du contenu "positif" et bienveillant. Mais derrière cette façade, certains reprennent sans scrupules le travail d’autrui, copient ou plagient. Et lorsqu’ils sont confrontés à la réalité, leur masque tombe. Les sourires laissent place au déni, aux insultes, aux menaces, à la violence verbale. Ces mêmes personnes, qui prétendent enseigner le calme et la maîtrise des émotions, se révèlent incapables de les appliquer dans leur propre vie.
La moralité en Qi Gong n’est pas une annexe, mais le socle invisible sur lequel tout repose. Cultiver la vertu, c’est préparer le terrain intérieur pour que le Qi circule librement et que la pratique transforme réellement le corps et l’esprit.

Article FBK paru le 20 août 2025 par Fatah Mokrani, praticien médecine chinoise, enseignant, formateur