Eloge de la vie par Jean Pélissier

« Le mystère de la vie, ce n’est pas seulement qu’elle existe, mais qu’elle se donne. »
François Cheng (écrivain, poète et calligraphe français d’origine chinoise)

La vie est le plus grand des mystères.
Un souffle venu du Ciel qui s’incarne, le temps d’un passage entre les deux portes du Tao.
On dit que l’Homme est né entre le Ciel et la Terre. Et c’est là que réside l’essentiel : la Vie ne peut s’épanouir que si l’on respecte cet équilibre sacré.
Le Ciel, c’est l’invisible, l’inspirant, le souffle originel, le mystère d’où nous venons.
La Terre, c’est l’accueil, la matière, la densité qui nous permet de goûter pleinement aux expériences.
Lorsque l’on oublie le Ciel — dans cette trilogie fondamentale Ciel-Homme-Terre — la Vie perd son axe. Alors l’ego prend le pouvoir, croyant pouvoir tout régenter à partir de la seule volonté humaine.
Et quand l’Homme se coupe du vertical, il erre dans l’horizontal. Il se laisse aspirer par une spirale descendante : course au plaisir immédiat, malbouffe, sexualité débridée, marchandisation du corps et de l’âme, lois absurdes qui, sous couvert de progrès, bradent le vivant…
Mais la Vie, la vraie Vie, ne se laisse pas apprivoiser ainsi.
Elle n’est pas une suite d’années empilées mais une vibration, un frisson, un éclat de conscience. Elle est apprentissage. Elle est école.
Ce moment où l’âme choisit de descendre dans la matière pour expérimenter, évoluer et se souvenir de sa véritable nature — comme l’enseigne le taoïsme dont est issue la Médecine Traditionnelle Chinoise, mais aussi, sous des formes diverses, la plupart des philosophies et des grandes traditions spirituelles de ce monde.
Et ce chemin n’est pas toujours lumineux.
Il est fait de sommets et de creux. De vitalité haute et de vitalité basse.
Quand l’énergie monte, tout semble possible, léger, évident.
Mais lorsque le souffle se tasse, que les Reins s’affaiblissent, que l’ombre intérieure s’épaissit, on peut en venir à souhaiter que la Vie cesse. Ce sont ces moments de nuit, de dépression, où le goût de vivre s’estompe, où le lien au souffle semble rompu.

Et pourtant…
Mon maître disait : « Jusqu’au dernier souffle de vie, l’âme a encore le temps de s’exprimer, pour souffler une dernière directive à cet ego qui va bientôt ou non disparaître. »
Ces paroles résonnent en moi comme une clarté dans le brouillard.
Oui, même au bord de l’abîme, quelque chose en nous — l’Essence, le Shen, l’étincelle divine — peut encore guider, réajuster, orienter.
Et puis, un jour, la lumière revient. Un sourire, une rencontre, un matin lumineux et voilà que la Vie redevient sacrée.
Nous passons de l’envie de fuir à l’envie de glorifier.
Les philosophies anciennes — taoïste, bouddhiste, stoïcienne ou chrétienne — nous enseignent toutes que la Vie ne nous appartient pas, elle nous est prêtée.
Elle ne se possède pas, elle s’honore.
Elle ne se gaspille pas, elle se célèbre.
Vivre, c’est danser avec l’impermanence.
C’est embrasser l’instant sans vouloir le retenir.
C’est savoir que chaque expiration est une petite mort, chaque inspiration un renouveau.
Il n’y a pas de plus grande tragédie que d’avoir vécu sans jamais avoir habité sa vie. D’être passé à côté de l’essentiel, prisonnier du faire, du paraître, du bruit. Le Tao nous invite au contraire à l’alignement, à l’écoute du flux naturel, à cette simplicité féconde du « non-agir » — wu wei — qui nous permet de goûter pleinement chaque étape, chaque rencontre, chaque silence.
Célébrer la Vie, c’est apprendre à dire merci.
Merci au matin qui s’ouvre.
Merci au corps qui respire.
Merci aux larmes, aux épreuves, aux éblouissements.
Merci à l’autre, miroir de ce que nous avons à comprendre.
Alors, oui, éloge de la Vie, mais pas de la survie.
Pas de cette vie amoindrie, sans direction, sans élévation. Mais de la Vie qui jaillit, qui questionne, qui bouleverse et qui révèle.
La Vie reliée.
La Vie habitée.
La Vie sacrée.

« Sois comme l’oiseau posé pour un instant sur des rameaux trop frêles,
Qui sent plier la branche et qui chante pourtant,
Sachant qu’il a des ailes. »—
Victor Hugo

Lettre infos de Juin 2025
Jean Pélissier, praticien de MTC, auteur, conférencier

l’éloge de la poésie de Jean Pélissier